Sur les Total 24 Hours of Spa, il est difficile de choisir un favori, quelle que soit la catégorie. La course est tellement ouverte et l'épreuve tellement imprévisible que même le plus éclairé des pronostics ne demeure qu’un pronostic.
Mais, si dans la catégorie Am Cup les paris sont aussi ouverts, l'équipage de la McLaren #188 Garage 59, Chris Goodwin, Alexander West et Chris Harris se révèle comme une solide option. Leurs victoires consécutives à Silverstone et sur le Circuit Paul Ricard ont démontré qu'ils maitrisent à la fois performance et régularité. S'ils parviennent à conserver cet avantage pendant plus de 24 heures, ils devraient être dans la course pour la victoire finale.
Pour Goodwin, une victoire dans la catégorie représenterait quelque chose de spécial. Spa signifierait beaucoup pour le pilote britannique et, se prenant à rêver quelques instants, il admet : "Ce serait génial de remporter un trophée sur ma course préférée."
Comme beaucoup d'autres, la passion de Goodwin pour la course lui vient de son père.
"Mon père était médecin, il est toujours là mais il est aujourd’hui à la retraite », dit Goodwin. "Avant ma naissance, notre famille vivait à Singapour et il a roulé sur des monoplaces de ce côté là du globe: Macao, Singapour et la Malaisie.
"Quand il est revenu en Europe, il a continué, tout en travaillant comme médecin. Il disparaissait pour rejoindre Spa ou le Nürburgring pour participer à des courses d’endurance, ce qui était plutôt cool.
"Nous vivions près de Brands Hatch et comme job d'été j’étais mécanicien à l'école de pilotage. Au fil des années, j'ai exercé tous les jobs possibles : mécanicien, homme à tout faire, instructeur, assistant au bureau de presse.
"Je suis ensuite entré à l'Imperial College pour étudier le génie mécanique. Au même moment, il a été créé à Brands Hatch un championnat monoplace appelé Formula First. Il m'a été permis d'acheter, à très bas prix, la voiture réservée aux essais, puis j'ai commencé à faire des courses.
“Je l'ai faite rouler moi-même, je l'ai accidentée et j'ai dû travailler comme un fou à Brands Hatch pour payer les pièces ! J'ai gagné la dernière course de l'année, et je suis donc passé à la Formule Ford 1600."
Une bonne fin de saison 1989 permet à Goodwin de progresser à nouveau et à ce moment-là, il décide de mettre ses études entre parenthèses pour se concentrer sur la course automobile. Ou, comme il le dit : "Je me suis enfui de l'université pour rejoindre le cirque !"
Il poursuit sa carrière en monoplace avec un certain succès, mais Goodwin se dirige déjà vers la profession qui l'occupe encore aujourd'hui : pilote d'essais. Le constructeur britannique Van Diemen l'engage pour le développement de sa nouvelle voiture et sa carrière en course se calme progressivement.
Mais ses sorties occasionnelles et ponctuelles s'avèrent déterminantes. En 1997, il pilote à titre privé une McLaren F1, ce qui attire l'attention de la société Woking au moment opportun.
“En 1999, la société a lancé son programme de voitures de route et c'est vraiment à ce moment-là que j'ai commencé à me concentrer sur mon travail“, explique Goodwin.
"J'ai travaillé pendant 20 ans sur le développement de tous leurs projets de voitures de route. Je combinais mon expérience d'ingénieur et de pilote, mais cela m'a beaucoup éloigné de mon rêve de devenir pilote de course professionnel. J'ai quand même réussi à faire des trucs sympas et passionnants.
"Cela m'a occupé jusqu'à novembre de l'année dernière, quand j'ai terminé chez McLaren."
Les essais demeurent son objectif principal : à la fin de l'année dernière, Goodwin a rejoint Aston Martin pour assumer le rôle de pilote d'essai en chef.
Durant son passage chez McLaren, il a également réussi à participer à certaines des plus grandes courses au monde. Parmi celles-ci, il a développé une affection toute particulière pour les Total 24 Hours of Spa.
Son histoire avec cette course est étroitement liée au programme compétition de McLaren en GT, sur lequel Goodwin a joué un rôle déterminant.
"Andrew Kirkaldy, Chris Niarchos et moi-même avons très rapidement mis en place une équipe et fait rouler la première 12C GT3 ", explique-t-il.
"Ce que vous voyez aujourd’hui avec Garage 59 en est la conséquence. C'est l'équipe « maison » qui a été réunie pour relever le défi en Europe. "
La voiture a été engagée à un stade précoce pour en accélérer son développement, donnant quelques occasions à Goodwin sur les 24 Heures.
"J'ai toujours aimé Spa et j’y ai participé à plusieurs reprises avec une 12C", se souvient-il.
"Parmi les plus belles courses, celle avec Bruno Senna. Parmi mes nombreuses activités parallèles, j'ai coaché et géré la carrière de Bruno de la Formule 3 jusqu'à la Formule 1. J'ai entretenu une excellente relation de travail avec Bruno et la famille Senna pendant plus de 10 ans.
"Alors que je parcourais le monde en sa compagnie pendant ses années GP2 puis F1, nous nous sommes rendus compte que nous n'avions jamais roulé ensemble en course. Ma passion pour Spa m'a ramené là-bas encore et encore, alors nous avons participé ensemble aux 24 Heures en 2013. C'était vraiment sympa, car j'ai contribué en grande partie à la carrière de Bruno et vice versa. "
En 2018, Goodwin s’engage sur la saison complète sur la Blancpain GT Series Endurance Cup à bord de la McLaren #188. Il est rejoint par West et Harris, une relation qui s’est nouée sur les dernières Total 24 Hours of Spa.
"J'ai un tel amour pour cette course et puis je pensais qu'Alex était prêt pour cela. Les années précédentes, il était client de Garage 59 et a participé à de nombreuses épreuves plus courtes, mais Spa était sa première vraie course longue distance. C'est un gars génial, complètement accro au sport automobile, et aussi un grand collectionneur de voitures.
"Je me suis dit que faire participer Chris Harris serait aussi intéressant. Je l'ai côtoyé pendant un bon bout de temps grâce à son travail sur des voitures de route, notamment chez Bentley, alors je savais que ce serait facile de le mettre rapidement dans le bain. "
Spa 2017 ne s'est pas particulièrement bien passé pour l'équipage de la #188. Ils sont donc de retour pour une nouvelle tentative et cette fois-ci, beaucoup mieux préparés.
"Je me suis retrouvé avec un peu plus de temps, alors nous avons décidé de faire les choses correctement en participant à quelques courses avant Spa. Ce sera le premier championnat complet auquel je participe depuis 1990 et c'est vraiment sympa de rouler avec Alex et Chris dans cette catégorie. Nous prenons beaucoup de plaisir. "
Ce sentiment de plaisir s'est traduit par plusieurs victoires consécutives en Am Cup. Goodwin tient à souligner à quel point cela est le fruit d’un travail d'équipe.
"La différence fondamentale entre nous et les autres pilotes de notre catégorie, c'est le niveau de performance régulier des trois pilotes et aucune erreur de commise.
"Quand nous avons participé à Spa, il y a 12 mois, avec les mêmes trois pilotes, ce fut assez horrible car nous n'étions pas préparés. Cette fois, nous avons pris le temps de nous préparer et nous participons à nouveau avec la même équipe. Nous ne nous jetons pas dans le vide comme des profanes ! "
Alors que Goodwin est de façon compréhensible désireux d'éviter d’aborder Spa en pur amateur, il a parfaitement intégré l'esprit de la catégorie Am Cup.
"Ce qui est plutôt bien, c'est que je ne pense pas vraiment à la course avant d'arriver sur la piste. Je n'en rêve pas tous les jours ", dit-il.
"J'ai plein d'autres choses en tête, Chris a une carrière bien chargée, et Alex fait le tour du monde pour investir.
"Donc, la Am Cup est un moyen pour une bande de gars d'âge moyen, à la vie professionnelle chargée, de s’amuser et d’en profiter. Je n'ai jamais autant rigolé que lorsque nous roulons.
"Il y a des tas de pilotes qui ont la moitié de mon âge voire moins et qui sont totalement concentrés sur leur objectif et c'est génial à voir.
"Mais l'endurance a toujours été un mélange de professionnels et d'amateurs. Sur le test de Spa, je pensais à mon père quand il était là, au milieu des années soixante-dix, sur le vieux circuit. Il participait à la course en se comportant de façon honorable, puis revenait en Angleterre et retrouvait ses patients au bloc opératoire le lundi matin.
"C'est un état esprit important qu’il faut intégrer dans les courses d'endurance, et c'est pourquoi j'aime cette catégorie."
Goodwin a aussi exprimé une motivation supplémentaire pour repasser derrière le volant.
"Alors que j’approchais de mon 50ème anniversaire, j'ai décidé de courir un marathon, juste pour prouver au monde que je n’étais pas trop vieux!
"Malheureusement, mes genoux n’ont pas tenu et il a fallu que je subisse une double opération. Je peux encore courir et faire du vélo, mais le chirurgien m'a dit de ne plus penser au marathon car cela ruinerait tout son travail. "
Alors, plutôt que de risquer de perdre ses genoux en courant, Goodwin a choisi de les solliciter dans le cockpit d'une voiture de course.
"C'est une chose irrationnelle. Quand vous arrivez à mon âge, vous pouvez vous dire simplement : "Mais pourquoi diable faisons-nous cela ? " Mais c'est vraiment très amusant. J'ai un tas de choses que je pourrais et que je devrais faire avec mon peu de temps libre, mais je préfère piloter des voitures de course à Spa !
Plus d'une fois, Goodwin revient sur le même sujet, le plaisir qu’il a pris en roulant aux côtés de Harris et West cette saison.
"Quand on essaye de gagner en course, il est très difficile d'en profiter. Maintenant, nous rigolons du début à la fin, sur chaque week-end de course.
"De l'autre côté du garage il y a la voiture Pro avec trois jeunes et brillants pilotes qui méritent vraiment d'être là. Ils prennent tout cela très au sérieux, à juste titre, mais quand ils nous regardent, je ne pense pas qu'ils puissent comprendre. Ce qu’ils voient ce sont trois vieux types rire comme des enfants !
Alors que les Total 24 Hours of Spa se profilent à grands pas, Goodwin espère qu’il pourra, avec ses équipiers sur la # 188, décrocher une récompense dans les Ardennes belges. S'ils réussissent, soyez certains qu'ils n’auront pas retenu leurs rires du départ jusqu'au podium.